Presse de révérence : versant montagne
vendredi 17 août 2007 par SHAHSHAHANI Volodia
La page 3 (à égalité avec la " der ", c’est la plus noble après la " Une ") du Dauphiné Libéré du dimanche 12 aout illustre assez bien à l’échelle de la PQR (presse quotidienne régionale) le régime en vigueur dans la presse nationale (PQN) : un soupçon de balourdise en plus, peut être. [1]
Tout en haut de la page, dans un à-plat jaune immanquable, l’info-choc dans laquelle on peut lire que Michel Destot veut améliorer son temps de 2004, " ce record qui pour le moment n’a pas été battu " déclare fièrement le maire de Grenoble. [2] Il n’est cependant pas dit comment les liaisons ont été faites entre les trois sommets (croix de Belledonne, Chamechaude et Grand Veymont) gravis en 23 h 15. D’où trois hypothèses.
LES EXPLOITS MONTAGNARDS DU MAIRE DESTOT.
A PIED, outre le dénivelé sur les montagnes, il faut compter, en partant de (et en revenant chaque fois à) Grenoble, 177 km sur route et pistes plus 27 km de distance sur sentier pour effectuer cette G3M d’été. [3].
Le trajet
Grenoble->Freydières->Grenoble->col de Porte->Grenoble->Gresse-en-Vercors->Grenoble
cumule ainsi 3200 m de dénivelé positif (à ajouter bien sûr aux 3500 m sur 27 km de la partie montagne). Si l’on en juge par les performances de coureurs d’ultra-endurance, un athlète de haut niveau doit difficilement pouvoir tomber sous les 17 heures pour les liaisons, sachant ce qui l’attend après les mises en jambe routières.
Pour les sommets, en tenant compte des plumes laissées sur le goudron, il paraît raisonnable de faire le décompte suivant :
– 3h30 pour l’aller-retour à la croix de Belledonne depuis le pré Raymond de Freydières. [4]
– 1h pour l’aller-retour de Chamechaude depuis le col de Porte. [5]
– 1h30 pour l’aller-retour au Grand Veymont depuis Gresse.
Soit un total de 6 heures pour les sommets et 17 heures pour les liaisons, donc 23 heures pour un parcours totalisant 6700 m sur 204 km. [6] Si Michel Destot a réussi ce pari dans ces conditions en 23 h 15’, sa déclaration rapportée plus haut est tout à fait légitime. Devant une telle performance, de niveau international, le Dauphiné Libéré aurait pu se montrer plus généreux en lui accordant sa " une " et un bel article en page sports.
Mais deux contôles se seraient imposés :
– médical : vérifier que l’athlète ne s’est pas dopé et qu’il est l’objet d’un suivi longitudinal.
– social ; compte tenu du temps nécessairement dévolu à l’entraînement, il faut auditer sérieusement les heures consacrées par Destot à l’exercice de ses deux charges de maire et de député.
A VELO. Un bi-athlète de haut niveau gagnerait indiscutablement sur les liaisons : 6 heures au lieu de 17, soit un total de 12 heures. En doublant ce temps, Michel Destot resterait dans des horaires très convenables pour un sportif amateur. Un tel challenge - une approche non motorisée vers les sites de randonnée - ainsi promu par le premier magistrat de la ville, aurait lui aussi mérité la " Une " du DL et un long article en faveur de cette pratique. [7]
EN AUTO. Si c’est cette dernière option qui a été choisie, le temps total est égal à celui de l’athlète qui fait tout à pied et le double du temps du bi-athlète (vélo plus marche). Donc pas de quoi faire un tel raffut. Un petit compte-rendu sur un quelconque multi-blog faisait largement l’affaire.
Cela étant dit, rien n’empêchait le DL de faire une énième interview de Michel Destot en lui tendant lourdement la perche pour qu’il s’exprime sur ses " exploits " alpins.
PUBLI-REDACTIONNEL EN CONTREBANDE.
La seconde partie de la page 3 du DL présente 11 randonnées en Chartreuse, Vercors, Belledonne, Taillefer, Oisans, Trièves, Matheyzine. Chacune est accompagnée d’un commentaire d’une dizaine de lignes. Huit de ces descriptifs renvoient à une source unique à faces multiples : Glénat, Didier-Richard, Libris, sont toutes des marques appartenant au premier nommé (qui a acquis aussi un quatrième éditeur de montagne, les " Guides Franck "). Sur les 3 itinéraires restants, un est porté au crédit de l’ ONF. Les deux autres ne renvoient à aucune source ; on peut donc supposer qu’ils sont l’œuvre des deux rédactrices de cet article qui occupe les deux tiers de la page, Claire Simiand et Salera Benarbia.
Il est incontestable que les titres de la famille Glenat sont omniprésents dans les grandes surfaces, mais le pluralisme apparaît déjà mieux quand on pénètre les librairies spécialisées. Il est incontestable aussi que Jacques Glenat, un des grands éditeurs français (par la BD, bien sûr, pas la montagne) est une personnalité grenobloise de premier plan sachant composer avec le pouvoir en place, Carignon ou Destot, les mass-media, et même la justice, si l’on en juge par l’impunité dont il bénéficie depuis son excursion héliski au Rochail.
Ici aussi, rien n’empêchait le Dauphiné Libéré de lui ouvrir une nouvelle fois ses colonnes sous un prétexte divers et d’expliquer en large et en travers le sens de ses publications consacrées à la montagne. Sinon, en l’état, l’article de la page 3 relève plutôt du " publi-rédactionnel ", ce qui en bonne déontologie doit être précisé dans la marge.
Bref dans cette page 3, un joli condensé de journalisme de révérence, étalé sans retenue.
[1] Plusieurs sites procèdent au décryptage des media alignés, qu’il s’agisse de la presse, de la radio ou de la télévision, ainsi que du statut des "invités" permanents de ces media. Voir par exemple Acrimed ou encore Le plan B.. Mais il est rarement question de la presse provinciale.
[2] Destot n’était pas seul mais "accompagné de son ami Thibault" peut-on lire dans l’article.
[3] "Grenoble 3 massifs" est le nom d’une course de ski sur 3 des 4 massifs entourant la ville
[4] La montée simple a été réalisée en moins d’une heure trente.
[5] Montée seule en 31’35 par Christophe Constancias à l’automne 2006. Il y a peut être eu plus rapide hors compétition : à vérifier.
[6] C’est un peu plus court que le Badwater du Grand Canyon (217 km) et un peu plus long que l’Ultra Trail du Mont-Blanc : 163 km, mais avec 8900 m de dénivelé positif, couru en 21 h.
[7] Comme autrefois, profitant aujourd’hui de l’allègement considérable du matériel, des ski-randonneurs de plus en plus nombreux partent de Grenoble à vélo, tout l’équipement sur le dos jusqu’au point de départ enneigé.
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18 août 2007 SSX - Trilogie around Grenoble
Très intéréssant cet article Volo !!!
J’ai la ferme intention de vérifier la véracité du record de Monsieur Destot avec Yvon d’ici peu.
Vélos de routes légers - Chaussures de trail et bâtons pour le matériel comme ce printemps en vtt pour (X de Chamrousse - Charmant Som - Moucherotte détails ici) on partira en autonomie biensur ... à suivre -
22 août 2007 VSH - ou quadrilogie
Salut Seb,
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6 janvier 2008 S.Benarbia - On atteint les sommets
Dans quelle école de journalisme apprend-on la révérence ? Je ne me souviens pas l’avoir apprise. Avant de déduire des idées fausses à partir d’analyses bidons, vous devriez enquêter. ça aussi c’est du journalisme.
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10 janvier 2008 VSH - sur le tas
A aucun moment il n’a été écrit que la révérence s’apprenait dans les écoles de journalisme. C’est sur le tas - dans les mass-media - que cette attitude s’apprend puis se transforme en réflexe pavlovien.
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10 janvier 2008 julien ribennes - Pas sûr !
Le journalisme de réVérence (et non de référence comme certains se plaisent à dire) semble bien s’apprendre de plus en plus dans les écoles. Lire à ce sujet "Les petits soldats du journalisme" de François Ruffin.