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[avalanche] [nivologie] Neige

2006-2007 : Contraste maximal

mardi 7 août 2007 par SHAHSHAHANI Volodia

L’Anena [1] a livré le bilan des accidents d’avalanche de l’hiver 2007 (saison 2006-2007) : le nombre de décès par avalanche (18) est plus de trois fois inférieur à celui de la saison précédente : 57 morts l’hiver 2006 (saison 2005-2006). L’explication principale de cette décrue tient au faible enneigement hivernal associé à une douceur exceptionnelle. On peut ajouter à ces facteurs une qualité de ski souvent médiocre à la période où la poudreuse est recherchée et donc une fréquentation globale certainement en recul, comme ont pu le constater à leurs dépens les vendeurs et loueurs de matériels de sports d’hiver.

Le contraste entre ces deux hivers consécutifs est le plus fort depuis que j’observe un tant soit peu attentivement les montagnes qui entourent la cuvette grenobloise. Je livre ici quelques observations et tente quelques remarques, sans aucune prétention scientifique.

Pour l’hiver 2007 c’est simple : toutes les stations de mesure européennes ou états-uniennes concernant l’Europe voient leurs records de chaleur pulvérisés sur les quatre mois d’hiver qui nous intéressent ici (et cela est même vrai pour les mois d’automne qui précèdent). Il y a toujours eu des périodes chaudes (voire ponctuellement plus chaudes qu’en 2007) au cœur de l’hiver mais la continuité de cette année est exceptionnelle. Elle a de plus été accompagnée de précipitations très faibles jusqu’à la fin du mois de mars. Nous avons déjà connu des hivers très secs (encore plus secs que 2007) mais ce qui est exceptionnel cette année, c’est la conjonction des deux : douceur extrême et précipitations très faibles. Résultat économique : une saison quasi-inexistante pour de nombreuses stations de moyenne montagne (quelques semaines d’ouverture seulement, voire quelques journées pour certaines). [2]

DES TAUPINIERES - REPERES

Les jauges les plus commodes à utiliser sont les petits belvédères qui entourent Grenoble. Sur la période considérée (1° décembre - 1° avril) j’ai compté cette année pour le plateau de Sornin et la Pinéa 11 passages au vert après un coup de blanc (une vraie chute de neige de 10 cm au moins, pas un simple saupoudrage) . Juste un peu moins - entre 8 et 10 passages au vert - pour la dent de Crolles, le jas des Lièvres et le Grand Serre. Exactement l’inverse de 2006 où ces taupinières sont restées uniformément enneigées jusqu’à 1100-1200 mètres du 1° décembre au 1° avril. C’est certainement l’hiver le plus durable que nous ayons connu depuis longtemps. Pas de températures exceptionnellement basses comme en 1985 ou 1970 par exemple (ou même quelques pointes froides comme en 2005), mais aucun redoux et pas de pluie au-dessus de 1000 m (voire plus bas, les spécialistes devraient avoir les données). En gros, dans les cuvettes froides, nous n’avons eu que rarement des -20° mais les -10° ont été constants, ce qui explique le maintien d’une bonne couche en dépit de précipitations globalement en-dessous de la moyenne en 2006 aussi.

Du point de vue de la pratique, les limites skiables ne sont pas descendues aussi bas que les années précédentes, particulièrement 2005 et 2003 où il fut possible de skier jusque dans la plaine à plusieurs reprises voir la rubrique sorties mais on a pu se régaler de poudreuse en ski-sapinisme tout l’hiver. Pour ma part, je retiendrai surtout de 2006, quatre mois de ski de fond d’une grande qualité sur tous les sites isérois, de la Matheyzine à la Chartreuse et du Vercors à Belledonne.

N’étant pas compétent, je laisse le soin aux experts de dire si un contraste aussi fort sur le très court terme peut avoir une quelconque relation avec le réchauffement global (ce dont a priori je doute cependant).

DES MAXIMES A REVISITER

Du point de vue de la dangerosité, qui constituait notre point de départ, quelques vérités ressassées méritent d’être revisitées.

1. " Peu de neige en début d’hiver = danger "

2. " Froid constant = danger maintenu ".

Pour la maxime 1 (qui concerne 2007) : l’explication est simple. Dans la région observée (préalpes et même massifs intermédiaires jusqu’à 2500 m) toutes les chutes de neige ont été suivies de redoux significatifs jusqu’au point de faire disparaître à plusieurs reprises la sous-couche. (La maxime n’est donc pas fondamentalement remise en cause pour d’autres cas de figure).

Pour la maxime 2 (applicable à 2006) l’affaire est plus complexe. Selon les propres sources de l’Anena, les accidents mortels se sont produits sur des périodes courtes. 4 décès pour le 31 décembre 2005 et le 1° janvier 2006 ; 7 morts les 19 et 20 janvier : 11 morts sur trois jours (28 au 30 janvier), puis encore 12 décès les 20, 21 et 22 février. En général, les premiers accidents se produisent dans les stations d’altitude de la Tarentaise. Les hors-pisteurs sortent dès la première neige (la Savoie compte 23 décès sur les 57 de tous les massifs montagneux français en 2006).

Comme la plupart des randonneurs je suis assez attentif au rôle de fusible qu’endossent les " rideurs " de station. Tant que ça cartonne, on reste dans les arbres. Et puis on monte un peu plus haut pour voir. Internet comme radio-trottoir semblent montrer qu’au bout de quelques jours, les types s’enhardissent, passent de Chartreuse-Bauges-Vercors à Belledonne-Lauzière-Beaufortain, skient plus raide, puis massivement sur les classiques les jours de RTT et les week-end. Et rien ne part ... Mais le risque officiel, lui, n’a pas bougé : il ne s’ajustera qu’a posteriori par la consultation des sorties sur les sites Internet !

Le discours officiel dit à peu près : après une chute de neige importante sur un fond de neige sans cohésion du à une longue période de froid, l’assainissement peut se produire de trois façons.

 la chute est tellement énorme qu’elle part en avalanche

 un gros redoux (avec eau chaude) tasse le tout

 des vents forts transforment la neige récente en une plaque dure et épaisse : les couches fragilisées par le froid sont si enfouies qu’elles ne présentent plus de danger. [3]

Or, en Janvier-Février 2006, dans la zone et aux altitudes fréquentées (préalpes et Alpes de l’ouest en dessous de 2500 m), rien de ce qui précède ne s’est produit :

 pas de redoux

 pas d’avalanche

 pas de vent

et toujours le froid.

Dans les massifs cités [4], nous avons souvent remarqué que le froid avait " fragilisé " la couche récente. Si bien que nous avions de nouveau de la neige sans cohésion par-dessus l’ancienne neige sans cohésion. Donc pas de danger. Le froid constant, en givrant la couche supérieure initialement plus dense, aura donc été un facteur de stabilisation du manteau neigeux.

C’est peut-être seulement la redécouverte de l’adage ancien : patienter 48-72 heures après une chute de neige.
 [5]


[1association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches

[2Une telle saison a bien entendu profité aux stations d’altitude alors que les quatre années précédentes - 2003-4-5-6, les petites ne s’en étaient pas trop mal sorties avec la neige arrivant quand il faut, essentiellement février, parfois Noël

[3Remarque : la plaque redeviendra dangereuse avec le réchauffement. La prévision du moment de déclenchement des "plaques chaudes" est encore peu expliquée, comme d’autres phénomènes liés à la chaleur, telles que les reptations.

[4Les situations ont probablement été très différentes dans d’autres régions, comme la Haute-Maurienne, la Haute Tarentaise, le Queyras ou les Ecrins : c’est un autre climat, d’autres altitudes et les phénomènes de vent ont pu jouer tout autrement

[5Je rappelle, une dernière fois, que je ne fais part ici que d’impressions. Depuis la disparition de Jacques Villecrose, nous n’avons plus les moyens de corréler nos observations de terrain avec les données du Centre d’Etudes de la Neige. Si des nivologues disposent d’éléments chiffrés, qu’ils n’hésitent pas à intervenir pour approfondir ou corriger ce petit essai.

Messages et Commentaires ...
  • 8 août 2007 ANC - quelques remarques plus quantitatives

    Intéressante analyse que celle que tu nous as proposée. Il y a plusieurs points que tu abordes et je te donne un avis plus quantitatif basé sur les postes que j’ai dépouillés et sur ma propre expérience (qui n’engage donc que moi) :

    1) Il y a eu effectivement un contraste saisissant entre l’hiver 2005-06 et l’hiver 2006-07. Globalement, on peut dire que l’hiver 2005-06 a battu en Europe des records de froid comme tu l’as souligné, non pas par les minima atteints, mais par la durée remarquable et l’absence de redoux. En termes d’enneigement, la situation est beaucoup plus contrastée tant en ce qui concerne la distribution dans le temps des chutes de neige que dans leur répartition spatiale.
     Des valeurs records de neige ont ainsi été atteintes ou dépassées dans le Beaufortain et la Grande Lauzière avec des chutes très importantes au début de mars. Il est ainsi tombé 266 cm à Saint-François-Longchamp du 1er au 13 mars 2006 ; c’est la plus forte valeur des 20 dernières années (quasiment le double de la chute de neige de février 1999). Dans les Alpes du Sud, c’est l’inverse : Auron et Isola ont connu l’un de leurs plus mauvais hivers de leur existence, avec peu de neige et beaucoup de mistral. Les chutes de neige de mars ont provoqué une activité avalancheuse naturelle ou déclenchée très importante dans les Alpes du Nord, l’Oisans, et le Massif Central. L’absence de neige et le vent ont également à l’origine d’accidents d’avalanche dans les Alpes du Sud : un skieur est tué en février, emporté par une avalanche de neige dense dans les mélèzes sous la Tête de Cabane à Isola 2000 et un gendarme est emporté par une accumulation de neige sous la cime de Chavalet à Auron en mars 2006, lors d’un exercice de sauvetage.
     La distribution dans le temps a été très variable. Ainsi, pour les massifs de l’Isère, un enneigement assez abondant a marqué le tout début de saison (décembre 2005), puis les chutes ont été plus espacées et moins abondantes. Mars a été arrosé, mais sans excès (50 cm environ à 1500 m) ; notons que plusieurs accidents ont concerné des randonneurs le 12 mars en Chartreuse (accident à Chamechaude, un autre au Petit Som avec une victime). Globalement, l’Isère est légèrement au-dessous des normales saisonnières malgré un bon début de saison. Pour les massifs internes comme la Tarentaise, le début de saison a été beaucoup moins bien enneigé ; il faudra attendre le mois de mars pour voir les moyennes atteintes ou dépassées. Les massifs internes ont été aussi beaucoup plus soufflés (vent de secteur nord mais également lombarde pour la chaîne frontalière), ce qui est l’explication probable de plusieurs accidents d’avalanche impliquant des skieurs, mais également de nombreux départs dans des ouvrages de défense de type filet paravalanche.

    2) L’hiver 2006-07 bat tous les records de douceur pour l’Europe. Globalement l’enneigement a été très déficitaire, sans aucun doute l’hiver le plus maigre des 15 dernières années. Il faut noter que dans le même temps, sur la côte ouest du Pacifique (Colombie britannique, Oregon, Washington), des records de neige étaient battus, avec un enneigement exceptionnel et durable jusqu’en avril et à basse altitude ; en Californie, la situation a été en revanche aussi mauvaise qu’en Europe. La principale cause météorologique de cette situation de disette ou d’abondance est liée à l’oscillation nord-atlantique et au déplacement des centres dépressionnaires (avec l’apparition d’El Nino dans l’hémisphère sud). Le phénomène est plus ou moins cyclique (5 à 6 ans). Généralement, lorsque ce scénario se produit, les hivers sont chez nous humides et doux ; cela a été vérifié par exemple en 1995 et 2001, deux hivers avec un enneigement tardif grâce au stock de neige accumulé tout le long de la saison. L’hiver 2006-07 a commencé comme 1994-95, avec un refroidissement brutal et un peu de neige en novembre, puis après le vent a tourné au sud ou sud-ouest, les températures sont montées, la neige s’est fait attendre. La principale différence est qu’aucune mousson n’est venue à la fin de l’hiver ou au printemps.

    3) Il est trop tôt pour dire si c’est un effet du changement climatique. Une telle alternance en soi n’est pas inhabituelle. On constate toutefois que le nombre d’anomalies climatiques augmente, ce qui corrobore l’hypothèse du " dérèglement climatique " associé à la montée des températures observée depuis plusieurs décennies : canicule de l’été 2003, froid durable de l’hiver 2006, printemps aux couleurs d’été en 2007, et probablement juin et juillet 2006 et 2007 parmi les plus froids et pluvieux depuis 20 ans pour notre région.

    4) En ce qui concerne l’analyse des maximes nivologiques, il faut se rappeler qu’elles n’énoncent que des tendances moyennes ; les exceptions sont donc légion. On pourrait même affirmer que si l’on prenait n’importe quel descriptif du mécanisme d’une avalanche ou du manteau neigeux dans un ouvrage, on pourrait rapidement trouver un contre-exemple montrant que l’assertion est " fausse ". C’est aussi l’écueil principal auquel sont confrontées toutes les méthodes simples d’estimation du risque comme le NivoTest ou la méthode 3 x 3.

    5) Ton explication de la différence de risque entre les massifs périphériques (Isère) et internes (Savoie) est possible. Personnellement, sur l’ensemble de mes sorties durant l’hiver 2006, je n’ai pas rencontré de manteau peu consolidé dans les massifs autour de Grenoble ; au contraire, mon impression globale était qu’on avait de la neige frittée sur une grande épaisseur. Ceci étant, j’ai peu fréquenté les pentes raides et orientées au nord (vu les températures). J’ai aussi le souvenir d’une saison plutôt tranquille, pas de sueur froide avant d’attaquer une descente, ce qui peut trancher avec le bilan des accidents de l’ANENA, mais ce qui prouve surtout, je pense, que la situation avalancheuse a été géographiquement très contrastée sur les Alpes comme tu l’as souligné.

  • 31 août 2007 Nicolas - Et vive le ski-sapinisme...

    ...que je n’ai guère pratiqué qu’une fois en 2007 (et les semelles s’en souviennent encore).

    Pour ce qui est de la dangerosité des premiers jours après une grosse chute, je n’ai pas d’explication mais c’est une donnée statistique que l’on retrouve ailleurs, par exemple dans la thèse d’Alain Duclos

  • 2 décembre 2011 LTA - et 2010-2011 ?

    Entre les records de neige en plaine sur l’agglo grenobloise (jusqu’à 45 cm de neige au sol localement) de janvier 2010, la durabilité de cette couche de neige en plaine durant plusieurs semaines, un très bon enneigement cette saison-là (on skiait sans problème en Belledonne début juillet) et une fin d’année exceptionnelle en cumul de neige en plaine (dec 2010) on peut se demander si le contraste 2010-2011 n’a pas été encore plus fort. Le printemps 2011 est le pire que j’ai observé depuis que je pratique en qualité de "manque de neige" et nous sommes début décembre : l’automne peut être qualifié de caniculaire et la neige est toujours inexistante sur les massifs des alpes du nord. 2011 côté neige peut raisonnablement être qualifiée de catastrophique !

  • 5 décembre 2011 JIB - décembre 2011

    Avec le retour du flux d’ouest à nord-ouest, plutôt perturbé pour l’instant, Décembre sera peut-être à part en cette année 2011 ? On ne peut que l’espérer ! Dans les Alpes du Nord (excepté zonez frontalières avec l’Italie) l’enneigement arrive plus tardivement que l’an dernier mais se construit progressivement, de haut en bas et assez bien réparti, bref plus classiquement qu’en décembre 2010 (en une fois tout en plaine et de manière hétérogène géographiquement). Les Alpes du Sud sont partiellement à l’écart (surtout Queyras-Ubaye-Mercantour), mais leur sous-couche était déjà assurée en novembre.

    Au niveau des comparaisons 2007-2011, il semble que les deux printemps se disputent des records de sécheresse et douceur depuis le début des relevés : voir les bilans publiés par Météo-Franee ici(bilan provisoire de l’année 2011) et (Printemps).


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