Trilogie de la Somme
vendredi 4 août 2006 par TASSAN Lionel
Mémoires de pentes. Cela fait longtemps que je souhaitais rendre une visite à ce couloir nord de la Somme dont parle le Toponeige ENO. Mais comment y aller ? Se taper toute l’approche par Villar d’Arêne et tout ce plat, pour 300m de couloir ? Pas question ! Ce sera donc à-vue par la Bérarde. J’aime bien le "à-vue". Durant mes débuts en pente raide, je ne l’aurais même pas imaginé. Et puis, il y a eu cette rencontre avec Jean Bouchet et cet enchaînement au glacier Noir en avril 2001. Depuis, chacun de notre côté et parfois ensemble, Jean et moi pratiquons cette méthode que je considère comme le summum de la discipline : allier la difficulté et l’esthétique. Ce sera donc une nouvelle fois le programme pour la Somme. Oui mais une fois le couloir descendu, on fait quoi ? Par où on revient ? J’ai beau tourner ça dans tous les sens, on revient toujours à une longue bambée pour 300 m de couloir. Début avril 2006, une équipe de skieurs grenoblois dont Cyril Gaydou skie la Somme depuis Villar d’Arêne et m’envoie une photo du couloir. Sur celle-ci, on distingue aussi le couloir de droite pour lequel nous n’avons pas d’info. Et plus à droite une face blanche ! C’est quoi ça ? Après étude attentive de la carte, il s’agit de la face nord-est de la tête sud de la Somme et ça n’a pas l’air très raide. Un coup d’œil au Labande ne m’apporte aucune info. Ce probable tas de cailloux infâme dès le mois de juin s’enneige donc en hiver et, compte tenu de sa situation tout au bout du vallon de la Plate des Agneaux et dominé par des montagnes plus majestueuses, n’a sans doute pas intéressé les alpinistes. C’est soudain l’illumination. Voilà mon circuit tout trouvé. On monte depuis la Bérarde, on fait la Somme à vue, au passage on encape en aller-retour le couloir occidental et on rentre par le couloir sud de la tête de la Somme après avoir gravi la face nord-est. Aussitôt, je fais part du projet, photo à l’appui, à Nico Cardin avec qui j’avais déjà pris rdv pour le we suivant. Evidemment, le projet d’un tel circuit, agrémenté de trois pentes raides pour près de deux kilos et demi verticaux l’emballe immédiatement.
La suite est connue.
Le jour J, après une paisible ascension dans le vallon de Bonne-Pierre, le vide du couloir nord contraste avec la montée du versant sud. Quelques coups de pelles dans la corniche et ça peut chausser au sommet. Le haut est très raide, à plus de 50° et une dizaine de centimètres de poudre recouvre une neige plus dure. Pourtant, cette fois-ci, le premier virage est vite déclenché et rapidement les autres suivent. Petite pause pour attendre le Nico et faire quelques photos puis il faut quelques minutes pour atteindre la rimaye et remettre les crampons. La remontée du couloir occidental est assez rapide. La neige est bonne mais la pente est raide, plus raide que dans le précédent, si bien que l’on enfonce pas trop. Les 20 derniers mètres sont très étroits, à 55° sous la corniche avec rochers affleurants. Il faut donc chausser dans la pente car il n’y aura pas moyen d’y placer un virage. Comme souvent, le premier virage est le plus difficile mais une fois enclenché, on est vite en bas. Rechaussage de crampons. Et c’est parti pour la face nord-est de la tête de la Somme. C’est finalement la moins raide des pentes nord, du 45° en moyenne qui serait skiable s’il n’y avait pas le ressaut mixte médian. C’était d’ailleurs, sur la photo, le point d’interrogation. En fait, c’est tout simplement à vaches. Au sommet, il reste une arête facile et panoramique pour rejoindre le sommet de la Somme et son dôme. On profite des derniers instants de la journée en altitude. On échange un peu car jusqu’à présent, on n’a pas chômé ! Et puis, c’est la troisième descente versant sud. Le couloir est déjà bien ravagé en haut mais comme c’est mou, ça skie encore plutôt bien malgré une section en dérapage de deux mètres de large. Le vallon du clot de la Somme est splendide et dans le bas, il faut se fier à son instinct pour déjouer les pièges tendus par les barres rocheuses. Grosso modo, c’est d’abord un peu à droite puis à gauche. Quelques restes de reliefs de vieilles traces sont d’un précieux secours pour conforter nos choix. Au passage, on fait gaffe aux rotures pour ne pas finir, comme le dit Volo, sa carrière dans une carafe d’eau potable. On retrouve la Bérarde en milieu d’après midi en jetant un dernier regard sur ces Ecrins qui, je l’espère, nous feront rêver encore longtemps.
Il est des courses pour lesquelles on réfléchit parfois plusieurs années avant de trouver le bon mode d’emploi. Ce fut le cas pour cette Somme qui restera une de mes plus belles journées de pente raide.