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In Memoriam Emmanuel Cabau (1966-2014)

vendredi 14 février 2014 par GALLEY Hervé

Emmanuel Cabau, dit " Manu ", est mort dans une avalanche le jeudi 6 février 2014.

Nous sommes tous très tristes, évidemment. Pour ses amis atteints par les premiers stigmates de l’âge, c’était réconfortant, comme un symbole d’immuabilité, de songer à " Manu la Bête " qui continuait inlassablement à arpenter tous les recoins enneigés de la planète, dans son style dépouillé et efficace, mais rustique : fringues reprisées, Dynafit éculées, skis dépareillés...

Même s’il savait s’adapter à moins fort que lui (par exemple lors des sorties en famille), le ski façon Manu c’était plutôt du brutal : marathon de ski de fond le matin, 1500 mètres de ski de rando l’après-midi... Mont Rose dans la journée au départ de Grenoble, sans remontées mécaniques, avec liaison intermédiaire en VTT, et retour à la maison le soir même... Ou encore, comme les "collant-pipette" grenoblois, petite sortie le matin avant de pointer au boulot vers 9h00, mais en skiant la face nord de Bellecôte, en Vanoise, là aussi sans remontées mécaniques, plutôt que Chamechaude...

Manu nous a quittés jeune (47 ans), mais pas non plus si jeune. Il avait largement dépassé le stade de la jeune pousse en devenir, pour devenir un grand bonhomme à l’orée de l’automne, quand les premières feuilles s’envolent. Il a échappé au déclin physique ; mais nous aurions aimé qu’il connaisse de nombreux autres hivers.

Il a vécu ses passions - en particulier le ski-alpinisme - selon son tempérament : aucun moyen de retenir ce fonceur, aux qualités physiques XXL. Un inépuisable appétit de ski, une énorme expérience de skieur, exprimée en milliers de kilomètres de dénivelée sur presque tous les continents, accompagné ou seul. Rétrospectivement, rien n’aurait pu être entrepris, qui puisse l’écarter de son destin.

Il a mené deux carrières de front, et pleinement, malgré leur caractère difficilement conciliable (qui était pour lui une source de tourments) : une carrière de skieur-alpiniste hors norme (2000 courses ou davantage ?) et aussi une carrière d’ingénieur et de dirigeant d’industrie - mais pas n’importe laquelle. Discret et très modeste, Manu était un étudiant brillant (bac mention très bien, ENSIMAG intégrée dès sa première année de Mathématiques Spéciales) qui a ensuite travaillé dans l’industrie, d’abord comme ingénieur de recherche. Lucide et intègre, voire scrupuleux, il a vite réalisé que le culte de la croissance économique tous azimuths qui prévaut dans nos sociétés nous entraînerait, si on lui laissait le champ libre, dans une impasse.

Il a donc tenté de servir valablement la collectivité, en s’engageant professionnellement dans les énergies renouvelables et l’électricité solaire. Il a milité, comme candidat aux élections législatives en 1997, pour réduire le chômage grâce à la réduction du temps de travail. Il a aussi clairement exprimé dans ses livres ses idées en faveur de l’écologie (et notamment de Mountain Wilderness, dont il était adhérent), par exemple dans la postface de son guide Ski de Randonnée en Savoie :

" Sans jouer les "ayatollahs écolo", par quelques encarts glissés au sein des topo-guides, j’espère avoir fait modestement passer le message : si l’homme continue à jouer au parasite avec le milieu naturel, il finira comme tous les parasites, ils meurent parce qu’ils font mourir l’organisme qui les abrite ".

Alors que beaucoup tendent, plus ou moins consciemment, à importer dans les sports de montagne des valeurs issues de l’entreprise (performance, compétition, croissance, culte du chiffre et du quantitatif), Manu avait adopté la démarche inverse, essayant d’introduire dans sa pratique professionnelle, tant comme ingénieur que comme auteur, des éléments tirés de son amour et de son respect de la nature.

Il a écrit plusieurs topo-guides de randonnée à skis aux éditions Olizane, devenus des classiques. Il avait aussi, passé la trentaine, entrepris des études de géographie, dont il avait obtenu un DESS. Dans ses topo-guides, il arrivait à unir sa formation d’ingénieur et de géographe, recensant et parcourant les itinéraires de manière systématique, et son amour de la glisse et des grands espaces naturels. Ses nombreuses virées ou expéditions lointaines (Pamir, Karakoram, Groenland, Amérique, pourtour méditerranéen, etc.), ses livres, son tempérament de défricheur, et sa rusticité, l’apparentent étroitement aux grands alpinistes-explorateurs anglais du milieu du XXème siècle, Eric Shipton et Bill Tilman, inventeurs de " l’expédition légère " .

A son épouse Isabelle et à sa famille, il a donné un fils, Boris, et, à eux comme à nous tous, en plus de ses livres de ski, il lègue un nom, une figure de légende (déjà de son vivant !) ; il lègue d’innombrables traces et tout autant de questionnements professionnels ; il lègue une influence forte et des idéaux jamais rassasiés, que ce soit pour le ski ou pour l’écologie politique et la "bonne vie".



Emmanuel Cabau en 2012. Photo Damien Bedague


Messages et Commentaires ...
  • 14 février 2014 LTA - puissance, détermination et modestie

    Je l’ai eu le chance de croiser Manu ; c’était ce jour-là. Nous avions échangé un moment, tant que nous faisions la trace. Le groupe "Gignoux" (Pierre Gignoux, Olivier Pilon +, Bertrand Maucout) est arrivé derrière et a fini par prendre le relais. Manu a pu le suivre, pas nous. Avec Thibaut, nous avions été impressionnés par la puissance et la détermination qui se dégageaient d’Emmanuel, le tout empreint de modestie. La communauté montagnarde ne peut rester insensible au départ brutal de ces hommes qui apportent tant à notre activité.


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